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Enfant de Novembre

Enfant de Novembre

Bienvenue sur le blog de ToF', une escale dans sa balade labyrinthique.


Lumière noire

Publié par EnfantdeNovembre sur 1 Décembre 2010, 13:21pm

Catégories : #TOF' aime...

" Pardon de te marchander mon offrande, divinité insatiable de la guerre. Je sais tout e qu'aujourd'hui on te donne et que tu n'as plus même à te baisser pour en prendre. Et si pourtant j'osais parler de ce qu'on te refuse? Une fois de plus, tu es là hagarde, immonde, à fracasser tes grands jouets bleus qui se relayent toujours plus nombreux, plus perfectionnés, dans une nuée de mouches. Tu en profites pour faire dire qu'ayant toujours existé, tu existeras toujours et j'accorde que rien ne t'est si favorable que cette philosophie du "retour éternel" dont le dernier mot ne saurait être qu' "à quoi bon?"

Toutefois tu ne m'en imposes pas par ta présence et ta virulence même au point de me faire douter que le secret de ta suppression définitive soit à la portée de l'homme, qui a bien su conjurer la peste ou la rage. Provisoirement les circonstances veulent qu'il ne soit guère permis que d'en rêver: le mal est trop grand, nous serre de bien trop près, nous ne pouvons qu'y faire face de l'instant où tout espoir de cure préventive s'est retiré.

Le temps reviendra où la guerre étant passée derrière l'homme, il devra à tout prix se convaincre qu'elle ne doit pas nécessairement se représenter devant lui. On ne saura réprimer alors trop énergiquement les menées du fatalisme et du scepticisme, voire du cynisme, et encore aura-t-il fallu au préalable ôter à ceux qui se targuent de telles attitudes le profit d'argent ou autre qu'ils en escomptent, faute de quoi il n'y aurait, bien entendu, rien de fait.

Tâche historique digne des meilleurs mais aussi dont l'initiative et les modalités dépendent des conditions de déroulement ultérieur de la guerre actuelle et peuvent tout juste être conjecturées.

 

Hors de toute anticipation sur ce plan, la guerre, en tant que phénomène dont nous sommes témoins, prête à diverses observations qui peuvent être de grand intérêt par la suite. Si elle tend à se faire prendre pour la forme ultime de résolution qu'appellent certains conflits entre les peuples, il est indéniable qu'elle recouvre un ensemble très complexe de puslions individuelles plus ou moins semblables qui y cherchent leur accomplissement. La conscience humaine s'y est toujours mal pris quand elle a cru faire justice de la guerre. Il ne suffit pas, pour en finir avec elle, d'en révoquer le principe. L'humanité toute entière même assimilée à un corps, qui soutiendrait qu'on peut attendre de la généralisation de la "saignée" archaïque un soulagement à ses maux? Et qui ne sent quelle entorse la guerre donne à la notion même de droit (qu'il n'est que trop aisé de subjectiver et d'exalter contradictoirement dans chaque camp) dès lors que menacé par la force brutale il doit lui-même appeler à son aide la force brutale et donc partiellement s'effacer devant elle?

A priori ces seuls aperçus aliènent à l'idée de guerre toute complaisance de l'esprit. Pour s'être perpétuée jusqu'à nous, avec sinon l'assentiment du moins la résignation de l'homme, il faut qu'elle recèle tels modes obscurs de séduction.

 

Prévenir le retour de la guerre, il ne pourra sérieusement en être question qu'autant qu'on aura pris la peine de la considérer, non dans ses fins plus ou moins manifestes, mais dans les moyens qu'elle met en oeuvre, non dans son inconcevable raison d'être, mais dans sa structure.

 

Je ne cache pas que cela expose à des réflexions amères, mais je pense qu'on peut en assumer le poids si plus de clairvoyance est à ce prix, bien plus encore si l'on se persuade que le remède ne peut naître que d'une appréciation moins superficielle du mal.

 

Il faudra commencer par enlever à la guerre ses lettres de noblesse. Et ici qu'on me comprenne: il y a dans le cadre abominable de la guerre beaucoup de grandeur déployée. Cette grandeur, quand elle est vraie grandeur, ne fait que donner, en théatral, la mesure de certains hommes. Par temps moins inclément, leur dépense en générosité pourrait être égale et, l'un dans l'autre, moins vaine. L'héroïsme militaire présente au moins ce revers qu'au cours de la bataille il faut bien parfois l'accorder à l'adversaire aussi, ce qui entraîne à estimer diverses parties, et les plus agissantes, sans doute des plus responsables, d'un tout qu'on fait profession d'abhorrer. Point entre tous névralgique, au sein des multiples lignes d'interférences qui passent par la guerre et dont le réseau figure chez l'homme la plus cruelle ambivalence de sentiments.

 

Les divergences d'idéal qui animent une nation contre une autre, un groupe de nations contre un groupe d'autres, si elles sont assez puissantes pour provoquer ou alléger le sacrifice de millions d'êtres, en motivant théoriquement les guerres, n'en appartiennent pas moins à la superstructure. En deça fonctionne un système qui met aux prises non seulement le "moi" et le "soi" comme l'a voulu Freud, mais encore, dans les limites des races, des Etats, des régimes, des castes, des croyances, un "nous" (organique ou de pure convention?) qui se comporte comme l'hybride des deux autres. Ce nous restrictif, hérissé de tous les piquants du "surmoi" (ou idéal du moi), plus, il semble bien, quelques autres, complique et dénature à tel point la vie que tout doit être entrepris pour le dissoudre dans le tous, avec l'homme comme seul terme inconditionnel de ralliement.

 

(...)

 

C'est l'erreur ici, le ver vainqueur, qu'il nous faut découvrir au centre du beau fruit.

 

(...)

 

L'euphorie des autres, au premier abord confondante, il ne suffit pas cependant de la déplorer, il faut encore en découvrir les causes et, pour ma part, je n'hésite pas à les trouver dans la platitude et les contraintes de la vie sociale du temps de paix. Cette vie, pour la plupart, est bornée, plus ou moins inconsciemment, par la nécessité d'un travail qu'ils n'ont pas choisi, par les tracas d'une tutelle familiale ou les soucis d'un foyer sans grand feu du coeur qui leur ôtent la libre disposition d'eux-mêmes, mais, bien plus couramment encore, par l'ennui de repasser aujourd'hui, à si peu près, par où ils sont passés hier. L'immense parti pratique que tire la guerre de cette forme très commune d'insatisfaction donne à penser que, pour parer à de nouvelles guerres, c'est à tout ce qui engendre cette insatisfaction même qu'à l'échelle universelle et radicalement il faudra s'attaquer d'abord.

 

Il n'est pas question de reformuler ici les moyens d'obtenir que beaucoup cessent de trouver dans la guerre un exutoire à ce que comporte de monotone et d'accablant leur existence individuelle. Et du reste la divulgation de ces moyens pourrait être jugée prématurée. Néanmoins, il doit être permis de dire que dès maintenant des plans devraient être dressés en ce sens, et mis en lieu sûr. La première qualité à requérir d'eux serait une extrême audace.

 

Et tout d'abord, chez l'homme un terrible besoin d'enfance persistante demande à être comblé. Reportez-vous à cet épisode si bouleversant du film Victoire dans le désert: on vient de voir, une heure durant, ce qu'a été l'enfer de Lybie. Maintenant des prisonniers italiens, harassés, brisés au moral comme au physique, défilent de dos, innombrables. Mais l'un d'eux vient d'apercevoir la caméra et tous ceux qui l'entouraient se retournent. On va les voir sur l'écran! Qui? Des amis ou des ennemis? ils ne se le demandent même pas, et sourient. Ailleurs, sans doute d'autres prisonniers, dans une situation analogue, ont souri aussi.

 

Le mécanisme de compensation qui, au comble de la souffrance, peut faire quêter le plaisir le plus innocent, le plus vain, est là saisi au vif. On est sur le chemin de ces réactions affectives paradoxales décrites dans la démence précoce. Hors du pathologique et naturellement sans préjudice des actions d'éclat qui abondent dans les guerres pour nous subjuguer, la misère morale de ce temps est infinie.

 

C'est en la prenant au collet qu'on entreprendra réellement d'en finir avec le courroux immémorial de démons qui s'appellent pétrole ou salpêtre.

 

La vie humaine est à repassionner, à faire revaloir, au besoin sous l'angle de ce qui, très vraisemblablement pour chacun, n'est donné qu'une fois. Peut-être faudrait-il en conséquence lui laisser une toute autre latitude. Puissent les conteurs arabes de plein air, qui jouissent actuellement d'une audience inaccoutumée, se créer pour un jour prochain des émules sur nos places d'Amérique, d'Europe. Et que partout l'imagination, si honteusement canalisée, aille son cours! Puissent des fêtes , où il soit donné à chacun de prendre une part active, être assez largement conçues pour épuiser périodiquement toute la puissance phosphorique contenue dans l'homme.

 

Tout effort de rajustement économique du monde, si primordial soit-il à mes yeux, sera frappé tôt ou tard d'insuffisance si l'on ne tient pas compte de cet appétit de curiosité, de faste et surtout de plus grande chance personnelle à courir dans l'existence.

 

(...)

 

Tout le reste est obscurantisme et, qu'on le veuille ou non, profascisme. En vue des solutions qui sont requises de nous tous, la routine, toute recouverte de velours, est plus menaçante, la routine couve plus de détresse et de mort que l'apparente utopie. Devant la carence totale des idées touts faites, il y aurait davantage à ce que toute licence de s'exprimer, publiquement ou non, fût laissée à cette dernière.

 

Une jeune femme, belle et perdue dans une de ces rêveries d'allure prophétique qui me sont chères, me disait l'autre jour: "Vois-tu, en ce moment, il ne faut rien dire de dur. Qu'est-ce que c'est, le contraire de dur? Tout ce qu'on a le droit d'écrire, et encore de temps en temps,  c'est un poème. Aujourd'hui, il faut faire des enfants nuageux. Tu comprends, pas des enfants en nuage, mais des enfants avec des parties de nuage, oui: des enfants nuageux." "

 

 

André Breton, Arcane 17, "Lumière noire"

http://www.andrebreton.fr/fr/item/?GCOI=56600100500210

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M
<br /> <br /> Pas un livre comme tu le sais. Au moment de te lire, j'étais à lire la grosse brique " Tout sur l'art, mouvements et chefs-d'oeuvre. Un hasard. J'étais sur l'étude de ce tableau de Dali. page,<br /> 430 et c'était hallucinant de lier ces deux textes. Bon jeudi à toi.<br /> <br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> Parce que je suis à lire La persistance de la mémoire, S. Dali, je ne peux que faire lien avec ce texte. J'ai bcp apprécié cette lecture. Beau cadeau de réflexion. Merci. <br /> <br /> <br /> <br />
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E
<br /> <br /> Oui ce passage-là d'Arcane 17 me semble primordial et plus que jamais d' "actualité"... La persistance de la mémoire est un tableau de Dali, mais c'est un livre aussi?<br /> <br /> <br /> Merci de ton passage. Amitiés<br /> <br /> <br /> <br />

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